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Il y a encore dix ou quinze ans, acheter un film, un album en MP3, un logiciel ou un plug-in était un acte simple :
on payait, on téléchargeait, on possédait.
Aujourd’hui, ce monde est en train de disparaître sous nos yeux.
Silencieusement, l’industrie culturelle et numérique nous a glissé dans une nouvelle logique : on ne possède plus rien. On loue tout.
Ce glissement n’est pas anodin : c’est peut-être le plus grand bouleversement de la culture numérique depuis l’invention du MP3.
Et il est temps d’ouvrir les yeux.
Les géants de la tech ont d’abord présenté l’abonnement comme la solution miracle :
Sur le papier, c’est séduisant.
Dans la pratique, c’est un enchaînement volontaire, parfaitement huilé.
Un système où l’on échange sa liberté contre du confort.
Où l’on renonce à la propriété en échange d’un accès temporaire.
Où l’on devient dépendant de services que l’on ne contrôle pas.
Car derrière la promesse de “tout, tout le temps”, il y a une réalité brutale :
l’abonnement n’est pas un achat. C’est un loyer.
Et dans un loyer, le propriétaire… ce n’est jamais vous.
Prenons un exemple concret, révélateur, presque symbolique : les pédales Boss.
Boss, c’est un pan de culture musicale : la DS-1, la CE-2, la DD-7… des machines mythiques, robustes, intemporelles.
Quand Roland a annoncé des versions plug-ins, beaucoup de musiciens ont rêvé : retrouver le son Boss dans une DAW, sans compromis.
Mais la réalité ?
Roland a enfermé ces plug-ins derrière… un abonnement.
Pas d’achat possible, pas de licence perpétuelle, pas de propriété.
Juste un cloud, un loyer, un accès conditionnel.
Pour utiliser une seule pédale virtuelle, le musicien doit :
Boss n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Waves, Slate Digital, Adobe, Avid, Autodesk, même ChatGPT…
Tous poussent vers le même modèle : la location perpétuelle.
Ce modèle n’est pas un hasard.
Il répond à une logique économique simple : un utilisateur captif vaut plus qu’un client libre.
Quand vous achetez un logiciel, l’entreprise gagne de l’argent une seule fois.
Quand vous louez un logiciel, elle gagne chaque mois, pour toujours.
Ce modèle s’appelle la subscription economy, et les entreprises en raffolent.
Mais pour l’utilisateur, c’est une forme de dépossession programmée.
Nous ne sommes plus des acheteurs.
Nous sommes des flux de revenus récurrents.
C’est le même mécanisme que pour les smartphones : les batteries sont collées, les pièces propriétaires, les réparations limitées… pour nous enfermer dans un écosystème.
L’abonnement, c’est la version numérique de cette cage.
Une autre manipulation subtile consiste à dire :
“Avec un abonnement, vous avez accès à des milliers de contenus, c’est mieux que d’acheter.”
Mais cet “accès illimité” repose sur trois conditions :
C’est un accès conditionnel et révocable.
On imagine que Spotify, Netflix ou Apple Music survivront éternellement.
Mais qui imaginait la mort de :
Les géants d’aujourd’hui peuvent s’effondrer demain, remplacés par une innovation plus pratique, une IA plus performante, un modèle P2P, ou une fusion industrielle.
Et quand ils tomberont, ils entraîneront nos archives avec eux.
L’industrie musicale a servi de cobaye.
Avant le streaming :
Avec le streaming :
Et ce modèle se répand maintenant à :
Tout ce qui était téléchargeable et archivable devient un service temporaire.
C’est peut-être la conséquence la plus sombre.
Lorsque tout est dans le cloud, sous abonnement, soumis à des licences temporaires, il n’existe plus de véritable patrimoine numérique.
Demain, une entreprise peut décider :
Nous ne sommes plus maîtres de ce que nous consommons.
Nous sommes locataires de notre culture.
L’avenir que prépare ce modèle, c’est un monde où :
C’est une amnésie organisée.
Face à cette dérive, plusieurs résistances sont possibles.
Télécharger, stocker, conserver hors-ligne ce qui peut l’être.
C’est contraignant.
Mais c’est un acte politique.
Certains pays commencent à envisager des obligations :
si un produit est disponible, le consommateur doit pouvoir l’acheter et le conserver.
Les musiciens, développeurs ou producteurs qui offrent encore des licences perpétuelles ont aujourd’hui besoin de soutien — sinon, ils disparaîtront face aux géants du cloud.
Nous vivons dans un paradoxe vertigineux :
la technologie nous donne accès à tout… mais nous retire la propriété de tout.
Elle nous ouvre des portes tout en nous enchaînant au pas de la porte.
L’abonnement peut être pratique, mais il ne doit pas devenir la norme obligatoire.
Sans vigilance, nous allons droit vers un monde où tout est temporaire, jetable, verrouillé.
Un monde où nous ne possédons plus nos films, nos outils, nos œuvres, ni même notre culture.
Il ne tient qu’à nous de dire :
Non. Ce que je paie, je le possède. Je le garde. J’en suis maître.
La bataille pour la propriété numérique ne fait que commencer.