Playlists : le grand mensonge du streaming

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Le mirage des playlists

Depuis l’explosion du streaming, on nous répète que les playlists sont devenues la nouvelle radio. Être placé dans la bonne sélection Spotify, Deezer ou Apple Music serait le Graal absolu pour un artiste indépendant : un tremplin vers la visibilité, la découverte et pourquoi pas la carrière. Les plateformes en font un argument marketing : « Nous aidons les artistes émergents à être entendus. »

Mais derrière ces promesses de découvertes équitables se cache une réalité beaucoup plus sombre. Playlists éditoriales inaccessibles, playlisters privés qui monnayent leur influence, fausses écoutes générées par des bots : le système des playlists ressemble moins à une chance pour tous qu’à une loterie truquée, voire à un business douteux.

Les playlists éditoriales : une forteresse fermée

Spotify et consorts proposent aux artistes de soumettre leurs titres aux équipes éditoriales via leur interface. En théorie, chaque chanson envoyée a une chance d’être écoutée, puis retenue pour intégrer une playlist officielle. En pratique, les portes restent closes pour la grande majorité des indépendants.

Pourquoi ?

  • Les équipes éditoriales reçoivent des dizaines de milliers de propositions chaque jour.
  • Les places sont extrêmement limitées.
  • Les artistes qui passent en priorité sont déjà soutenus par des labels, des distributeurs ayant un réseau de contacts, ou font déjà parler d’eux ailleurs (médias, buzz TikTok, etc.).

Le mythe de la « chance égale pour tous » est entretenu par les plateformes, mais la réalité est beaucoup plus simple : sans relais professionnel solide, vos chances d’entrer dans une playlist éditoriale sont proches de zéro.

Le business parallèle des playlists indépendantes

Face à ce verrouillage, un autre marché s’est développé : celui des playlists indépendantes. Des particuliers créent des sélections populaires (quelques milliers à quelques centaines de milliers d’abonnés) et acceptent d’y placer des titres d’artistes… moyennant paiement.

Les tarifs varient :

  • de 20-50 € pour une petite playlist de niche,
  • à plusieurs centaines d’euros pour des playlists plus suivies.

Mais attention : rien ne garantit que votre chanson restera plus de quelques semaines. Rien ne garantit non plus que les abonnés écouteront réellement votre morceau. Souvent, il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau : beaucoup d’argent dépensé pour quelques centaines d’écoutes qui ne se traduiront pas en fans fidèles.

Dans certains cas, cela vire à l’arnaque pure et simple. Des intermédiaires profitent de la détresse des artistes pour vendre des placements illusoires. Vous payez, on ajoute votre titre… puis on le retire au bout de quelques jours, ou pire : la playlist disparaît.

Les playlists frauduleuses et le streaming artificiel

Un autre danger vient des playlists frauduleuses, souvent alimentées par des bots. Ces « playlist farms » font semblant d’avoir des abonnés, mais derrière les écoutes ne sont pas humaines.

Conséquences :

  • Vos chiffres montent artificiellement, mais personne n’écoute vraiment votre musique.
  • Les algorithmes de Spotify détectent les anomalies et peuvent supprimer votre morceau, voire bloquer votre compte.
  • Vous perdez crédibilité, temps et argent.

Certaines plateformes ou agences peu scrupuleuses vendent encore ce genre de services sous couvert de « promotion garantie ». En réalité, c’est de la fraude au streaming.

Le vrai rôle des playlists

Alors, faut-il abandonner l’idée des playlists ? Pas forcément. Elles peuvent servir de complément dans une stratégie plus large. Mais il faut être lucide :

  • Elles ne transforment pas un artiste inconnu en star du jour au lendemain.
  • Elles profitent surtout aux majors et aux artistes déjà visibles.
  • Les indépendants peuvent y trouver un petit boost d’écoutes, mais rarement une vraie communauté.

En résumé, une playlist peut donner un peu d’oxygène, mais elle ne remplace pas le travail de fond : construire une fanbase, créer du lien, multiplier les canaux de diffusion.

Alternatives et pistes pour les artistes

Si les playlists ne sont pas la solution miracle, où concentrer son énergie ? Voici quelques pistes plus solides et durables :

  • Construire sa communauté : un fan fidèle vaut mille écoutes anonymes. Cultivez vos réseaux sociaux, votre mailing list, vos contacts directs.
  • Bandcamp et plateformes équitables : elles permettent de vendre directement aux auditeurs, avec une meilleure rémunération.
  • Les concerts et le live : rien ne remplace la rencontre avec le public.
  • Les médias alternatifs : webradios, blogs spécialisés, chaînes YouTube de niche offrent souvent une visibilité plus qualitative.
  • Les collaborations : travailler avec d’autres artistes, échanger vos publics, créer des projets communs.

Ces alternatives prennent plus de temps et d’effort qu’un simple clic sur « submit », mais elles construisent une base solide et durable.

Reprendre le pouvoir

Le système des playlists est présenté comme un eldorado, mais il ressemble souvent à un mirage. Derrière les promesses de découverte se cachent des portes fermées, des intermédiaires peu scrupuleux et parfois de la fraude pure et simple.

La bonne nouvelle, c’est que les artistes n’ont pas à dépendre de ce système. Les outils existent pour reprendre le pouvoir : créer, partager, rencontrer et fidéliser directement son public. Les playlists peuvent être un petit plus, mais elles ne doivent jamais être le centre d’une stratégie musicale.

Au fond, la vraie découverte ne se fait pas dans une case d’une playlist opaque. Elle naît dans la rencontre entre un artiste et un auditeur, dans une émotion partagée. Et ça, aucune playlist automatisée ne pourra jamais l’acheter.

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